Quand je croise Zulu lors de la soirée de lancement de l’album ‘Intimiste’ au Backstage, il est assailli par des fans, réclamant autographes et photos… Je patiente un peu, et je finis par lui demander à quand notre prochaine interview… C’est vite plié, je sais qui contacter, et je ne m’en prive pas!
Rétrospective
Pour que vous compreniez comment il m’a été si facile d’obtenir un rendez-vous avec Michel ‘Zulu’ Bavajee, il nous faut faire un bref retour en arrière. Nous sommes au tout début de l’année 2014, alors que tout le monde profite de vacances bien méritées, je reçois un appel du rédac-chef de PEOPLE – les mille et un visages de l’Ile Maurice: « Ça te dirait de faire un portrait croisé avec Zulu et Mario Ramsamy? » Évidemment que ça me dit! Me voilà, en short et savates allant rejoindre Uvi Babajee, parolière et manager de Zulu, sur le parking de Zilwa Attitude où ces messieurs s’apprêtent à tourner le clip de La Métisse.
Nous faisons connaissance, car de Uvi, je ne connais que les paroles des chansons qu’elle a écrites, et sa voix au téléphone! Avant même d’arriver au lobby, nous croisons Zulu à qui je suis présentée : « Nu koz kreol? » me demande-t-il. Ce à quoi j’acquiesce… Il m’a parlé de son enfance et du temps où il a découvert Leonard Cohen, de son amour pour Mahébourg, de la pêche, et de son incompréhension face à son succès…
Depuis, je n’ai jamais vraiment perdu contact avec Uvi, la dernière fois que nous nous sommes vues, je lui avais parlé de la naissance imminente de ‘La Métisse a dit’, et ensemble nous avions envisagé cet entretien…
Je me suis rendue à bien des concerts de Zulu, assise sur le gazon à Trianon, debout au Big Willy’s et même au Mourouk Ebony à Rodrigues lors du Rodrigues International Kitesurf Festival, mais ça, je vous en parlerai plus tard… Chaque fois, le plaisir est intact.
Retour en 2016
Préparer cet interview est plus compliqué qu’il n’y paraît. Il est hors de question de répéter ce que nous savons tous, et je patauge un peu. Je pense sur le moment que tout a été dit sur Zulu, même en sachant que ce n’est pas le cas. J’écoute son nouvel album, histoire de m’inspirer…
7 juin – Nous (Zulu, Uvi et moi) sommes dans le jardin de Kiltir Loft. La vue sur les champs de cannes en fleur est étourdissante, le soleil d’hiver accomplit bien son boulot, et c’est tout naturellement que nous nous installons sur le gazon, je déballe le matos standard, et c’est parti…
La Métisse a dit : La dernière fois que je vous ai rencontré…
Zulu : Il faut me tutoyer…
LMAD : Question de respect…
Zulu : Allons se manquer de respect dans ce cas! (Rires)
LMAD: Depuis la dernière fois donc, que s’est-il passé?
Zulu : Nous avons avancé… Zulu ce n’est pas uniquement moi, il y a énormément de personnes derrière. Dans le monde musical, certaines personnes aiment tirer à eux la couverture, ce n’est pas mon cas. Si ta vie est un soleil et que tu l’offres à quelqu’un, les rayons brilleront sur toi… La vie m’a offert un magnifique cadeau, celui de rencontrer quelqu’un qui a permis la naissance de La Métisse, la rencontre de l’Inde et de l’Afrique, Uvi Babajee et moi, c’est ce qui s’est passé depuis notre dernière rencontre. La Métisse nous a fait croire que nous étions capables de produire de la belle musique, nous progressons dans ce sens! Et le public est d’un grand soutien. Peu importe le chanteur, sans public, il finira en larmes. Il dégage une belle énergie, comme au ping-pong, cette énergie rebondit sur moi et leur revient, c’est ce qui fait qu’un concert est bon. Une anecdote… Nous avions déjà un concert de prévu quand ma mère décède : je vais quand même au concert, je m’excuse auprès du public n’étant pas au mieux de mes capacités, mais durant tout le concert, le public a chanté pour moi. Plus qu’une béquille, il m’a porté. L’assemblée présente a tout chanté, du début à la fin, pas de Zulu sans public.
LMAD : La Tribu n’est plus là?
Uvi : La Tribu évolue, certains sont toujours là, d’autres sont venus nous rejoindre.
Zulu : Yvette par exemple est partie avec notre bénédiction, mais la Tribu reste une petite famille…
LMAD : Ça ne te dérange pas si je te pose les questions que tu poses à Sulitzer dans la chanson?
Zulu : Ah mon Dieu! Allez…
LMAD : Parle-moi de ta vie, de ce qui fait ton caractère…
Zulu : Je suis un grand timide à l’origine; quand je suis entré dans l’industrie du tourisme, en démarcheur, je tremblais… Uvi peut te dire que je ne suis pas à l’aise quand les foules sont grandes. Je me recroqueville dans ma carapace, mais j’ai été forcé de faire un travail personnel afin de développer ma confiance. La force était là, mais en veille. Et puis, mon éducation était telle que j’avais peur de l’inconnu, il a fallu passer ce cap. Nous Mauriciens sommes longtemps maternés; personnellement, je suivais scrupuleusement les conseils de ma mère, jusqu’au moment où j’ai décidé de désobéir. Dans ma famille personne ne fait de musique, je suis un ovni…
LMAD : Comment vois-tu la vie, le monde et ce qui fait tourner la terre?
Zulu : J’ai peur pour la terre, si on ne fait pas attention, tout ça risque de devenir amer. Nous venons de participer à un projet ‘Lettre à la terre’ avec une banque commerciale, dans le but de faire réfléchir à la chance que nous avons de vivre en harmonie avec la nature, à la fragilité de l’environnement.
LMAD : Et sur Maurice en particulier?
Zulu : Je suis apolitique, mais nous n’avons pas le choix, finalement les stars de Maurice sont les politiciens. Nous attendons tous la même chose, le changement. Je ne sais pas quelle formule va nous débarrasser des crimes, de la corruption, des violences… La formule trouvée par certains, c’est la drogue. Celui qui a trouvé cette échappatoire a trouvé le moyen d’éradiquer la population mondiale. Se transformer en légume, ce n’est pas une solution…
LMAD : Qu’est-ce qui te pousse à parcourir la terre?
Zulu : La curiosité, je suis un aventurier… Tout m’intéresse, nouvelles expériences, nouvelles rencontres, nouveaux publics, nouveaux pays, nouvelle nourriture… Même si au final je n’aime pas, le principal est d’avoir essayé! J’ai le constant besoin d’apprendre, quand quelque chose m’échappe, je n’ai pas honte de l’admettre.
LMAD : Quel type d’écolier étais-tu?
Zulu : Un bon enfant, un vrai petit génie, je détestais l’école… (Rires) J’ai eu de mauvais profs, ce sont les mauvais profs qui font de mauvais élèves. Je viens de voir un reportage sur Mohamed Ali, il a donné sa première médaille olympique à un enseignant qui au lycée lui a dit qu’il ne serait « jamais quelqu’un »… J’étais un sportif, un excellent nageur, premier en français une semaine et dernier en anglais… Puis l’inverse la semaine qui suit, histoire de montrer de quoi je suis capable après qu’on m’ait remonté les bretelles… Mari baté ine gagné dans l’école!
LMAD : Dans ton monde de luxe, tu as aussi connu des moments amers…
Zulu : Mon luxe, c’est que le pêcheur que je suis a imposé un style de musique jusqu’en pleine ville… Mais je viens de Mahébourg, et je n’oublierai jamais d’où je viens. Quant au goût amer, il y a bien des obstacles que les gens mettent sur notre route… Ça ne nous empêche pas de nous relever, ça forge le caractère…
LMAD : Que doit-on lire dans les yeux de Zulu?
Zulu : (Intense moment de réflexion) Je ne veux rien voir en noir, toujours garder une lueur d’espoir, avoir une vision positive des choses. Je suis tellement de fois tombé à genoux, et chaque fois je me suis relevé. Tu ne sauras jamais quand je vais bien, et quand je vais mal, quand j’ai du fric et quand je suis à sec… Show must go on!
LMAD : Et avec ça tu te montres quand même généreux…
Uvi : Un peu trop même…
Zulu : Un ami m’a dit une fois : « Tu n’auras jamais rien Zulu… » Moi je pense le contraire, tant que je crois être en mesure de me relever, je me relève.
LMAD : Bonne surprise, j’ai vu sur ton album que tu as repris Sizan de Menwar, et qu’il a travaillé avec vous sur l’album. Comment s’est passée cette rencontre ?
Zulu : C’était top, nous sommes de grands fans de Menwar, on a commencé par lui demander son autorisation. Après l’enregistrement, je lui ai demandé de venir l’écouter, puis je lui ai proposé de venir jouer, et enfin de chanter avec nous… Il avait confiance, et ça s’est super bien passé!
LMAD : Ton rapport avec le public a bien changé…
Zulu : Sur scène je suis métamorphosé, mais après un concert je me ratatine littéralement. Mon manager ne m’a pas laissé le choix; elle me houspillait : « Cesse de te cacher derrière ton micro, tu ne vas pas bouger? » C’était une bonne chose… Je n’ai plus peur de rencontrer le public.
LMAD : Aujourd’hui après tes concerts, tu reviens souvent sur les lieux du crime, parfois après une heure même…
Zulu : Il n’y a pas de crime parfait… (Rires) Deux choses, rencontrer les gens qui se sont déplacés pour nous voir, c’est important, mais on veut aussi s’asseoir et prendre un verre, comme tout le monde…
Uvi : Certaines personnes peuvent penser que Zulu joue à la star quand il s’éclipse après un concert, mais en réalité, entre le moment des préparatifs et la fin du concert, tout est très intense; du coup, il a besoin de décompresser un bon coup après un show.
Zulu : Exact, souvent, avec l’équipe et le public il y a un si bel échange d’énergie, qu’après je suis vidé. Sans compter la panique, la pression, le stress, les retards… J’ai même besoin de dormir avant un concert… Et ce n’est pas toujours évident… Certains ont besoin de boire, de fumer, ou que sais-je encore? Moi je veux juste quelques minutes de sommeil…
LMAD : What’s next?
Zulu : Pleins de projets, on ne s’arrêtera pas en si bon chemin…
Uvi : Nous restons prudents, on ne dévoile pas tout, histoire de ne pas se faire voler nos idées… encore…
Zulu : Un créateur restera toujours un créateur… Pas grave ça… Bref, un album de 8-10 titres… Nous cherchions un son que nous avons trouvé au Studio Scorpion, chez Shy Luchmunsing.
LMAD : Est-ce que tu penses avoir marqué la musique locale?
Zulu : Je pense que nous sommes en train de le faire… Et c’est pour ça que je veux enregistrer autant d’albums que possible, mais aussi pour toutes ces années où je n’ai pas fait de musique! Essayer de rattraper le temps perdu… J’aime créer, écrire, produire. J’ai bien des albums en tête déjà!
LMAD : Les fans de Zulu peuvent dormir tranquille…
Zulu : Pour quelques temps encore…
LMAD : Où la musique t’a emmené dans le monde?
Zulu : Bordeaux, il y a bien des années quand je préparais mon premier album avec Sony… Mais bon, j’ai détruit les enregistrements, démoli la guitare et déchiré le contrat…
LMAD : Pourquoi?
Zulu : (Soupirs) Passage à vide… J’ai arrêté la musique pendant 10 ans, je suis retourné à la pêche, j’allais comme tout le monde aux concerts. Un jour que j’étais allé voir un artiste local, un ami m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais au pied de la scène? C’est là-haut que tu devrais être! »
LMAD : Les voyages donc?
Zulu : Réunion, Rodrigues, Allemagne, Durban, Johannesburg, Genève, Toulouse…
LMAD : Est-ce que tout a été dit sur Zulu?
Zulu : Aucune idée…
Shy le timide…
Zulu insiste pour que je rencontre Shy, chez qui nous sommes, et précise en souriant : « Faire li causé! Il fait profil bas, comme le personnage mystérieux dans le clip de Moon over Bourbon street . » Cette collaboration semble d’une grande importance pour le chanteur, et si c’est important pour lui, c’est important pour ce papier.
Shy Luchumunsing est à l’origine des meilleurs albums produits à Maurice… Cassiya, Kaya, tous ceux qui ont marqué la musique locale, et mes playlists, sont passés par le Studio Scorpio. Il a même une console qui a appartenu à Marley… Comme son nom l’indique, c’est un grand timide. Dur de lui soutirer des infos… juste quelques bribes.
Shy a dit : « Ma passion a commencé en Angleterre, je l’ai poursuivie à Maurice pendant plus de 20 ans. Ma plus grande fierté est encore à venir. Quant aux moments difficiles, c’est encore une longue histoire…
Le studio était un peu en pause pendant que je faisais des vidéos ces cinq dernières années. J’ai dû réinvestir, mais c’est en bonne voie, tout comme Kiltir Loft qui demande encore du boulot, mais on y arrivera! »
M. Luchmunsing préfère nettement me faire visiter son studio. Il m’explique comment se font les enregistrements, m’invite à prendre mon temps quand je lui demande la permission d’y faire des photos de Zulu et Uvi. Sa simplicité et sa patience m’enchantent, j’adore ces belles rencontres inopinées…
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